L’œuvre débute avec un bruit sourd, presque mécanique : c’est la machine qui va servir de moteur à toutes les avancées dans les ténèbres. Mais ce n’est pas une symphonie de guerre à échelle humaine, ou une symphonie industrielle, car la voix des abysses se met à chanter juste après. C’est un chant obscur, senti jusqu’au plus profond de l’être.

Le moteur, la crise, tout est à l’intérieur. C’est une œuvre des velléités éparses, qui désirent sortir de l’être, mais c’est aussi ultimement une œuvre du combat interne. Il convient ainsi d’y dissocier les mouvements émancipateurs, nécessaires mais presque parasites, et la ligne directrice du combat, celle qui est annoncée par le mouvement mécanique du début. C’est toute l’ingéniosité de Sibelius : avec un début aussi rude et significatif, il nous interdit de perdre de vue le grave enjeu de cette symphonie.

Le premier mouvement a encore un certain rapport à la surface. Il agit comme les trois premiers mouvements réunis de la sixième symphonie de Tchaikovsky. Le deuxième mouvement commence déjà à se jouer de la surface et se laisse gagner par les néfarieuses idées. On n’y voit plus les reflets du jour ; tout se déroule dans un curieux jardin sauvage, aux teintes foncées, un terrain primitif dans lequel montent l’angoisse et la tension dramatique. Ce qui n’est peut-être pas entièrement clair alors, c’est à quel point cette tension doit se résoudre de l’intérieur. On le sent aux mouvements oppressants de la musique, qui compriment tout en persécutant.

Mais c’est dans le troisième mouvement que la bataille principale s’accomplit. Plus un mouvement ne se disperse vers l’extérieur et l’on ne voit plus que la lueur noire de l’âme. Elle est représentée par un terrain accidenté, une vallée circonscrite et rocailleuse entre les montagnes de l’impossible. Une fois seulement dans ce terrain le chant sincère et tragique est-il possible de nouveau. Ce chant tire encore sur les cordes de l’être, en extrait toutes les tortures possibles.

Dans ce contexte, Sibelius accomplit la montée de la tension. Les fantômes, toujours de l’intérieur de l’être, apparaissent, flottent comme des reproches, des prémonitions d’horreur. Pourtant, leur rôle semble encore incertain. Pourquoi avoir été convoqué dans ce tribunal de la conscience ? Sibelius attend l’intense récapitulation de toute la lumière noire pour le révéler enfin : c’est l’effrayant destin qui se découvre sur ces parchemins volants, l’inéluctable malheur, la fatalité. Une fois le premier coup encaissé, le moteur reprend insensiblement et dramatiquement, avec des bruits aussi écrasants que ceux du début de la symphonie. La prophétie est réalisée, le décret est tombé. Et pourtant, dans cette horrible déréliction de tous les espoirs, il faut encore vivre…

Vient alors le dernier mouvement, avec un premier chant d’exubérante et de délirante détresse. C’est la folie, couplée à la nécessité d’être encore après avoir su ce qu’aucun homme ne peut tolérer de savoir sur l’intérieur. La crise se mue en ironique danse, aussi lasse qu’expansive, comme accomplie par pur abandon, et par conscience aussi que la solitude est l’unique possibilité après ces révélations. Ayant réalisé cela, la chanson se fait de moins en moins humaine, et de plus en plus spectrale, fluide et fantomatique. C’est la folie d’un homme transfiguré, prêt à renoncer à son humanité, pour ne souffrir plus de ce qu’il sait de son intériorité. Ainsi vient la réalisation du moteur mécanique annoncé au début : l’homme en prise avec sa souffrance profonde ne s’envisage plus que selon les rouages mécaniques de la psyché. Et enfin il s’éteint, lorsque le sommeil est le repos de sa torture.

A l’époque où la chaîne Itapirkanmaa2 disposait d’une grande masse de restaurations musicales, il y avait une magnifique restauration de l’enregistrement de Toscanini, avec pour couverture un tableau de Akseli Gallen-Kallela, Lemminkaïsen äiti (“La mère de Lemminkaïnen”). Le trouble intense et brut de la scène était ce qui s’accordait prodigieusement à la symphonie.