Je souhaite débuter cet article en affirmant que je ne suis pas amateur de la peinture de Dalí. La plupart de ses compositions et idées artistiques me semblent absolument révoltantes. Cela étant dit, je ne saurais lui ôter le mérite d’avoir peint La Tentation de saint Antoine, un tableau si singulier à regarder, que j’ai eu la chance d’avoir devant mes yeux au musée du Louvre-Lens en janvier 2024. Si la fascination devait tenir en un mot, ce serait celui d’espace. Le tableau nous offre une sensation d’espace incommensurable, non pas rempli mais étendu par les formes qui s’y trouvent. Les contrastes de taille, bien sûr, mais surtout ces formes effilées qui flottent véritablement comme des mirages, sur le désert plat à l’horizon infini, tels sont quelques agents de ce déploiement prodigieux. Sur la chaîne YouTube de MagicDonDino, il y a quinze ans, a été publiée une interprétation de la Sonate K54 de Scarlatti, interprétée par Vladimir Horowitz, avec ce tableau pour couverture de la vidéo. Je ne sais à quel point l’association a été mûrie, mais qu’elle est juste ! Nous avons là deux œuvres des mirages et de l’espace.

La sonate de Scarlatti est saisissante par la qualité à la fois grêle et granuleuse de ses sons. Le sable, naturellement, apparaît, mais aussi un baume indéfini qui se répand en spirale dans l’espace. Ce sont des questions aussi, qui flottent comme des objets qui ne peuvent se préciser devant l’observateur. Et à son tour, son esprit encourt les révolutions en spirale, car il est incapable de s’accommoder aux visions vaporeuses qui l’entourent tout en lui échappant mystérieusement. Comme les figures de Dalí, elles sont une réalité à la fois lointaine et envahissante. Le terrain du rêve est tellement immense qu’il semble plus physique que tout le reste.

Ultimement, il ne reste que des chimères, certes inquiétantes mais condamnées par le temps, lui aussi granuleux comme le sablier, à s’évaporer. Mais derrière cette tentation, à la fois éthérée et vulgaire (seul aspect de la toile de Dalí, bien entendu, que l’on ne trouve pas dans la sonate de Scarlatti), il se cache peut-être sur le dos d’un éléphant aux pattes mandibulaires la consolation d’un sanctuaire, que les nuages ne daignent révéler à l’homme éprouvé.

Parce que la musique tourne sur elle-même et n’apporte pas de précision décisive, les images semblent toutes suspendues, indifférenciées par le mouvement. L’espace, alors, grandit à son tour, indéfiniment car, au plus les figures sont immobiles, au plus on les prend pour immenses, avec un mouvement extraordinairement lent puisqu’elles sont vues de loin.

Enfin, dans cette insurrection frustrée que l’on entend à la fin de la sonate, on peut voir la figure de saint Antoine au dos recourbé en arrière, qui résiste impuissamment au gigantesque espace qui l’écrase.