Les Nuits d’été sont un merveilleux cycle de chants composés par Berlioz sur des poèmes de Théophile Gautier. Je me trouve davantage touché par les arrangements pour baryton et piano, et plus particulièrement celui du chant “Au cimetière : clair de lune”. Le cadre est celui d’une blanche tombe, surplombée par un if sur lequel chante une pâle colombe.

On peut, légitimement, avoir le sentiment que le poème adopte la perspective de celui qui vient visiter la tombe, pour raconter ses tourments et son effrayant vertige devant le spectacle spectral qui s’offre à lui. Seulement, au regard de la composition musicale, j’ai l’impression que ce n’est pas le regard de ce visiteur qui doit être placé au cœur de l’attention, mais plutôt le chant de la colombe, évoqué dès la première strophe. C’est sa musique qui est à l’origine du remous et du brouillard qui s’installent sur les sens du poète.

Mais surtout, c’est peut-être autour de son envol, qui n’est pourtant pas mentionné dans le texte, que toutes les aspirations du chant convergent. Il se passe, dans la dernière strophe, un phénomène qui est à l’origine de l’un des plus beaux passages de l’histoire de la musique : le poète affirme, en retardant le plus possible l’objet effectif de son affirmation, qu’il n’ira plus jamais “Ecouter la pâle colombe”. Mais, ce disant, grâce aux trois vers préparatifs qui imposent comme une dernière tension avant le relâchement, la musique semble s’envoler enfin, avec cette colombe. La colombe, le poète y a renoncé, non sans quelque réticence, puisque tout le poème traduit sa fascination devant la scène mortuaire, et il est donc juste que de sa voix, et du piano avec elle, il puisse contempler mélancoliquement le départ de cette colombe. Dans les quelques secondes de cet envol, on croit voir le temps s’arrêter, tout le passé défiler et la colombe s’éterniser à s’échapper de l’if. Il est quelque chose de merveilleux qui se fait avec l’accent du chanteur que j’ai sélectionné, c’est que l’on croirait entendre “Ecouter la pale des colombes”… Ce n’est évidemment pas ce qui est dit, mais c’est une évocation de plus, et d’un caractère qui me semble infiniment poétique, de cet envol auquel nous assistons justement en musique. Ravivez ces quelques secondes à votre esprit tant que vous le pouvez, car il y a en elles toute l’essence de la déreliction, de la mélancolie et de la nostalgie à la fois, avec un parfum de nuit d’été comme on n’en trouve nulle part ailleurs.

Hélas, avec le vers suivant, “Chanter sur la pointe de l’if”, Berlioz a mis un terme à l’envol pour retourner succinctement à la tension principale, ce qui pour moi est fort regrettable. J’ai réfléchi à comment cet envol, avec sa souplesse libératrice, pouvait être suspendu jusqu’à la fin. Je ne prétends pas avoir trouvé de solution parfaite, mais je partage l’une de mes idées, qui est simplement d’altérer le texte des deux derniers vers du poème afin de reproduire, et ainsi prolonger, exactement l’effet musical du “Ecouter la pâle colombe” sur eux. Il s’agit donc de chanter le vers qui suit exactement de la même manière, et le dernier aussi mais en abrégeant par le début de la mélodie. Cela donne :

“Ecouter la pâle colombe,

Sur l’if épancher maladive

Sa voix plaintive.”

Je trouve peut-être aussi quelques mérites poétiques à cette altération, au regard de la vision d’envol et du rôle que la colombe a acquis au cours du poème, mais je vous laisse en juger selon votre goût.