L'edizione minore de la Fantasia Contrappuntistica
Qui n’aime pas la Fantasia Contrappuntistica de Busoni ? Cela doit faire à peu près deux ans que je l’aime et que j’y entends l’extension spatiale d’une vaste cathédrale gothique ou néo-gothique. L’art me fait penser à l’art, à des idées, à des sentiments ou à des images complètement nouvelles ; jamais à mes souvenirs. Mais je peux considérer que c’est encore de l’art lorsque je dis que je pense presque immanquablement à la vue nocturne des structures architecturalement saillantes de la cathédrale Sainte-Bénigne de Dijon, vue de l’extérieur, dès lors que j’écoute la fin de la Fantasia Contrappuntistica. Il y a donc ce massif architectural tel que je le reproduis ici, dessiné par Busoni, mais il y a aussi autre chose que tout le monde ne connaît peut-être pas, et que moi j’ai découvert seulement récemment.
En plus de la Fantasia Contrappuntistica à proprement parler, il existe ce que Busoni a appelé une “edizione minore”, qui dévie en quelques points du tracé architectural de l’œuvre principale, et surtout en ce qui concerne le choral introductif. C’est cette introduction qui fait l’objet du présent article.
L’introduction de l’edizione minore est frissonnante et sautillante. C’est comme si Busoni s’était autorisé à avoir vingt ans de moins en la composant (tout en maintenant les standards de son âge), renouant avec la candeur et l’ardeur d’un amour juvénile pour L’Art de la fugue de Bach. Car il s’agit bien là d’une lettre d’amour, avec tous ses débordements, ses transports à voix multiples qui s’élancent en toutes directions, tout en conservant le sceau de l’unité artistique.
Souvent, au sein d’une parole déjà trépignante, Busoni a recours à ses sons de cristaux, qui sont la marque suprême ici de l’attendrissement, mais aussi d’une quasi défaillance liée à l’émotion brute. Cet amour se moque des conventions, il est complètement nu, énergique, et en même temps d’un bon goût extrême. On n’a jamais l’impression de quelque chose de frénétique : c’est de l’excitation dont la pureté est déjà raffinée. Elle se manifeste en une vaste danse, sensuelle, trépidante et élégante en ce que les gestes sont éthérés.
C’est à l’instar de cette gravure de Gustave Doré sur la fin du Purgatorio, où Beatrice est entourée d’une escorte d’anges : les corps, les ailes et les gestes semblent se disperser autour d’elle, mais ils ne participent en fait que d’une composition unique et harmonieuse, éblouissante dans son foisonnement.
Je partage ici, dans l’ordre, l’authentique Fantasia Contrappuntistica, l’edizione minore, et le seul choral introductif de cette edizione minore. Il est bien possible que le choral traditionnel, avec les intenses réverbérations qui occupent l’espace et l’urgence avec laquelle il se déploie, convienne davantage aux ambitions monumentales du reste de la pièce (qui est, il faut le rappeler, une recomposition et une complétion du Contrapunctus 14 qui vient à la fin de L’art de la fugue de Bach). En revanche, cette introduction alternative, prise toute seule, produit sur moi l’effet infiniment touchant d’une lettre d’amour délibérée. En cela, elle retient particulièrement mon affection et j’écris ici en retour à Busoni.