Les chandelles, les étoiles, les rires et la lune font rêver aux contrastes de nuit les plus intenses. Lorsqu’un sentiment s’éveille dans le silence noir, il tend à se faire délicat, melliflueux, il relève de l’espoir ou de la mélancolie. Dans un monde où les pôles sont si distincts les uns des autres, rares sont ceux qui osent la pleine luminescence, l’éclat qui laisse voir toutes les formes contenues dans le manteau de la nuit. Le domaine est intime, plus sensible au moindre toucher opalescent que ne l’est le jour ouvert à tous les regards.

Cette délicatesse a quelque chose d’approprié pour les nerfs. Lorsque tout s’allume en entier, l’intensité tire sur nos sens, elle fatigue, sature le royaume du sommeil. Les bâtonnets dans les yeux peuvent à peine supporter ce nouveau jour impétueux sur une toile d’obscurité. Si toutefois le contraste si tentant est concentré dans une unique chambre musicale, où le décor s’embrase et s’éteint alternativement, comme d’après le même souffle qui fait parfois voler les rideaux à la fenêtre, et fait tinter le cristal par la grêle abondante, alors ce passage est un rêve. C’est à peine plus d’un quart d’heure de musique. C’est le livre lyrique de Myaskovsky.

Il y a là six mélodies, auxquelles l’on accède avec une simple question : “Забуду ли тебя?” (“T’oublierai-je un jour ?”). D’abord un ton plaintif de nuit douce, puis la surprise, un cristal qui irradie de plus en plus fort, et qui ressemble à un éclair passé à travers les nuées. Il se meurt ensuite… Mais d’où a-t-il bien pu surgir ?

Le souffle ultra-luminescent revient dans chaque mélodie, la transfigure à chaque fois que l’on croit s’y être installé. La deuxième, “Как парус, что мелькнёт порою” (“Tel un navire qui éclaire par moments”), se cristallise à la strophe médiane, fait du navire qui brise la nuit un voilier fluide volant prestement sur les flots. La quatrième, “Как часто ночью” (“Combien de fois la nuit”), incruste un secret dans l’étoffe de nuit. Même en murmurant, elle fait que les poitrines se soulèvent, que les yeux s’illuminent… et à ces mots, “Как хорошо…” (“Que c’est bon…”), c’est en fait le soupir de la nostalgie qui retombe, les lumières intérieures échappant aux doigts qui les veulent saisir à nouveau. Tous les lustres s’allument dans les deux dernières mélodies. Le rêve se fait un peu malade, mourant, mais il expire empli d’une intense beauté.